La chronique de juin 2020
Une petite histoire des armoiries de Rasteau |
In memoriam
Jean-Pierre Barnouin a été emporté par ce vilain virus. Issu d’une vieille famille de
Rasteau, il avait entrepris de mieux connaitre l’histoire de son village et s’apprêtait
à publier un livre : RASTEAU, QUATRE SIECLES D’HISTOIRE COMMUNALE. Nous avons beaucoup
échangé par mail, planifié deux fois une rencontre, sans succès. Après notre
publication de la chronique du blason de Cairanne en janvier 2017, il avait complété l’histoire du
blason de Rasteau. À la suite de cette réécriture, nous avions cherché si des familles
nobles de Cairanne (les de Vitalis, les Dumas, les de Chateaubrun…) avaient les armes
de Cairanne dans leur propre blason. Sans succès… ou pas pour l’instant. Il m’avait
transmis son travail sur le blason de Rasteau que nous nous proposons de publier.
Dóu passat la remembranço E la fe dins l'an que ven. (Culte du passé et foi dans l’avenir) Mistral GC
Une petite histoire des armoiries de Rasteau
Un peu d’héraldique
Pour bien comprendre ce qui suit, faisons un peu d’héraldique (l’héraldique, c’est la
science qui étudie les armoiries, étude qui s’inscrit elle-même dans l’Histoire générale
et la Généalogie). C’est l’écu, le bouclier des chevaliers du Moyen Âge qui est à
l’origine du blason (d’où sa forme courante) : celui-ci était décoré de manière à
identifier facilement et clairement son porteur. Par la suite, cette manière de
s’identifier et de se personnaliser s’est développée pour les seigneurs, les familles
nobles, les villes et lieux forts. On la trouve sur des documents divers, des sceaux,
des fanions, des sculptures, des tableaux, des vêtements… Souventes fois, un blason
s’accompagne d’une devise, fréquemment en latin, comme « semper fideis » ou
« semper augusta »
ou encore celle de nos voisins de Villedieu :
« Noli irritare leonem»
. Le tout se transmet de générations en générations,
parfois avec des modifications en fonction des alliances de familles ou des aléas
de l’histoire (le blason de Vaucluse qui n’existait pas est ainsi formé de ceux
d’Avignon, du Comtat Venaissin, et de la principauté d’Orange.Au niveau sémantique, on mélange allègrement dans le langage courant les termes Armes, Armoiries, Écu et Blason pour désigner la même chose. Or, si les concepts sont proches, il y a des différences sensibles de signification. Quant à nous, pour simplifier, nous utiliserons le plus souvent le mot de « blason » dans ce texte. Soulignons que la manière « héraldique officielle » de décrire un blason utilise des termes « alambiqués » et quasiment incompréhensibles pour un non spécialiste… Nous le verrons plus loin mais nous n’insisterons pas sur ce sujet, celui-ci n’étant pas notre propos. Si donc l’origine d’un blason est l’identification d’un chevalier ou d’un noble seigneur, cela suppose que celui de Rasteau provient d’un tel personnage. Or, comme nous l’avons vu dans la petite histoire communale, nous n’avons pas eu de « seigneur » proprement dit à Rasteau Alors, d’où sort-il ? . J’avais quelques idées en m’appuyant sur les notes de Charles Milou et quelques informations nouvelles qui m’ont récemment mis sur une voie plus précise. Ceux sont quelques documents succincts que m’a remis Edith Girard, notre sympathique secrétaire générale de Mairie, très experte en matière d’archivage. L’un est un court extrait d’un vieil ouvrage appelé « Héraldique et généalogie » qui dit très exactement ceci : « La commune de Rasteau (Vaucluse) a adopté en 1677 les armes de noble Jean d’Albert, seigneur de Cassilhac habitant Tulette… ». Ces armes sont décrites ainsi : « d’azur à 4 chaînes d’or en sautoir, réunies en cœur par un anneau d’argent ». Nous avons effectivement un « seigneur de Tuletz» qui est mentionné dans nos archives communales : c’est, comme on dit à l’époque, « un propriétaire forain », c’est-à-dire qu’il possède des biens, un domaine, dans la commune de Rasteau mais n’y habite pas. C’est sans doute cette même famille qui est citée. Notre blason correspond parfaitement à cette description : en voici donc peut-être l’origine avérée. Mais j’ai voulu en savoir un peu plus et confirmer cette supposition. Un autre document est venu m’aider dans ma quête de vérité : le « Dictionnaire des familles françaises » .Lui aussi sorti des « oubliettes » de l’histoire communales, toujours par Edith GIRARD, nous apprend que la famille d’Albert, citée ci-avant pourrait avoir des origines beaucoup plus anciennes et lointaines. Ce document dit succinctement qu’une famille de haute noblesse française dénommée « d’Albert de Luynes, de Chevreuse, de Chaulnes » (ouf !) possédait un blason quasiment identique à celui de Rasteau, décrit comme « écartelé aux 1 et 4 d’azur à 4 chaînes d’argent en sautoir aboutissant en cœur à un anneau d’argent qui est celui d’Alberti de Catania»… Les généalogistes pensent que cette famille serait d’origine florentine. Chassée de Florence en 1397, elle s’installe d’abord dans la région niçoise puis à Avignon vers 1409. Par alliance elle se rattacherait aux de Luynes, lesquels auraient, au fil du temps, abandonné leur propre blason pour le « mélanger » avec celui des italiens. Les Alberti florentins , auraient francisé leur nom et serait devenu Albert. Tout cela est un peu alambiqué mais ça se tient !
D’Albert de Tulette
Voilà pour les origines lointaines et compliquées des armoiries de notre village :
le fameux seigneur d’Albert habitant « de Tuletz » et possédant des terres à Rasteau
descendrait des Albert de Nice et de Florence et en aurait hérité d’une partie du
blason
.La deuxième explication sur l’histoire générale des blasons des communes de France et, éventuellement de celui de Rasteau, m’a été suggérée par Gérard Coussot, l’historien patenté de Cairanne. Dans sa chronique de janvier 2017 publiée sur le site de l’association « Cairanne et son vieux village », il écrit à propos de l’origine du blason de la ville de Cairanne : « C’est à partir du XVIe siècle que les villes du royaume de France fixent leurs blasons… » lesquels sont gérés par l’Etat, Louis XIV imposant même, dans un souci purement financier, « à toutes les villes et communes du royaume d’enregistrer moyennant finance leur blason dans l’Armorial Général de France ». Evidemment, le Comtat Venaissin ne faisant pas partie à cette époque de la France « aucune règle n’existe » et à part Avignon, très peu de villes ou villages possèdent un blason, sauf peut-être certains nobles de haut lignage. Après moultes péripéties, le statut des blasons communaux va être réglé presque définitivement. En 1848, dit Gérard Coussot, « le préfet de Vaucluse demande aux communes de lui transmettre leurs blasons. Seules répondent les communes d’importance, les communes rurales sont absentes, dont Cairanne… ». Pourtant ce village possède un « sceau », trouvé sur un bulletin de santé datant de 1721 comportant son blason. Rasteau, par contre semble avoir répondu à la demande de l’administration. Car, à cette époque, quelque part dans nos vieux papiers communaux (mais ce n’est pas mentionné dans les relevés des conseils municipaux, cela reste une supposition de ma part), on a sans doute retrouvé trace dans quelque archive d’un document généalogique comportant le dessin du blason de la famille d’Albert et, puisque à part le « seigneur de Cassilhac de Tuletz» apparentée aux Albert de Menton aucun seigneur blasonné n’était lié de près à Rasteau, on l’a ressorti de la poussière d’un grimoire afin de le présenter aux autorités et en tirer le fameux tableau conservé en mairie : celui-ci présente une facture qui semble bien dater du milieu du XIXème siècle comme présupposé. Quod erat demonstrando ! Mais restons prudent : tout ceci reste une approche et non pas une vérité absolue même si beaucoup d’éléments concordent pour en tirer cette conclusion. Alors, et aujourd’hui ? Gérard Coussot raconte : « il faut attendre 1980 pour que le Président du Conseil général de Vaucluse demande à chaque commune de rechercher son blason ou en proposer un ». Rasteau s’exécute en présentant celui qui se trouve sur notre fameux tableau, validé par le Conseil Municipal de l’époque (cependant toujours aucune trace dans les comptes rendus des conseils municipaux). Notre blason a donc été définitivement choisi avec juste raison et officialisé. Jean-Pierre Barnouin
Summary: Jean-Pierre Barnouin from Rasteau has just died of coronavirus. He was involvedd in the history
of his village and we exchanged a lot of information. This chronicle was written by him
on the history of the Rasteau coat of arms which is that of a noble family of Tulette with an Italian branch.
Les d'Albert et Cairanne
Notes :les d'Albert et Cairanne
Mariage C’est Victor d’Albert habitant de Cairanne qui sera en conflit avec la famille de Vitalis à propos d’un mariage (chronique de septembre 2019 : "Deux familles s'affrontent pour un mariage"). Cafetier 1878 : D’Albert, cafetier à Cairanne est condamné à une amende de 1 franc, son café étant resté ouvert après 22h30 l’heure légale de fermeture des cafés (chronique de novembre 2019 : « À travers les archives déchainées »). Marchand de vin (Anonyme) 1929 : Pour la première récolte vinifiée par la cave coopérative, le caviste fut Édouard d’Albert qui faisait le négociant en vins et qui livrait les demi muids de vin avec sa charrette attelée de deux chevaux jusqu’à Montélimar. Il avait le temps d’admirer le paysage ! Au champ d’honneur (ADV, 1PER23, Le petit Cairannais,1925) 1925 : Nous nous faisons un pieux devoir de signaler la mort glorieuse du lieutenant Edouard d’Albert de l’infanterie coloniale. À peine âgé de 26 ans, il est décédé à l’ambulance de Ouezzam (Maroc) des suites de ses blessures… Ajoutons que la croix de la Légion d’Honneur a été déposée sur son cercueil. GC
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Mise à jour : le 2 juin 2024 webmaster : Gérard Jacques Coussot |