Besoin de sel
Depuis longtemps, le sel a accompagné les hommes. Le sel est indispensable à l’organisme des hommes sinon c’est l’anémie et son excès est aussi dommageable et entraine des troubles
rénaux.
Le besoin est aussi dans l’élevage du bétail, une vache a besoin de 90 g de sel par jour !
Le besoin est également dans la conservation de certains aliments, c’est la salaison. En effet, faute de fourrage ou d'aliments de substitution,
on abattait une grande partie du bétail à l'automne et le seul moyen de le conserver était de le saler.
Le sel taxé dans le Royaume de France
En 1246, le roi Louis IX (Saint Louis) taxe le sel sous le nom de gabelle. Cette taxe perdurera jusqu’à la Révolution française. Elle sera la seconde source de revenu
du Royaume de France !
Ce sont les Fermiers du roi qui se chargent de collecter cette taxe et donc de contrôler la vente à l’intérieur de leur circonscription et aux passages aux frontières des
Provinces d’où tout une administration privée de surveillance dont les célèbres gabelous(ou douaniers). La vente aux habitants se fait à partir de greniers à sel répartis
dans tout le Royaume.
Le montant de la gabelle est très inégal dans le Royaume de France. La Provence et le Dauphiné sont dans une zone de Petites Gabelles c’est-à-dire que le minot de sel taxé (50 kg)
coûte de 23 à 57 livres.
Origine du sel
Les sources du sel sont les salines en bordure de mer ou les sources salines liées à une géologie locale favorable. Le lac salé de Courthezon est l’exemple type qui fera la
fortune de ce village appartenant à la principauté d’Orange. En 1481, la réunion de la Provence au Royaume de France va favoriser le développement de Pecai à côté
d’Aigues-Mortes comme grand centre de production de sel. Il faut toute une logistique de transport pour approvisionner les greniers à sel qui sont répartis dans le Royaume.
Les voituriers affermés transportent le sel du Roi soit par le Rhône, soit à dos de mulet. Les contrôles par les gabelous sont permanents, le sel étant une denrée rare qui voyage
dans des sacs plombés.
Il y a deux distributions de sel pour les particuliers: une pour la cuisine et les bêtes et une pour les salaisons.
La contrebande est très sévèrement punie : condamnation aux galères ou à la peine de mort.
La gabelle est abolie par la Constituante en 1790. Napoléon rétablit un impôt sur le sel en 1806. La taxe sur le sel subsiste jusqu’après la seconde guerre mondiale
et elle est définitivement supprimée en 1946 !
La situation dans le Comtat Venaissin
Pour vendre le sel au détail, chaque communauté du Comtat désigne un regratier
qui va acheter du sel en gros au grenier à sel à Avignon et le vendre au détail à Cairanne. Les consuls signent devant notaire un bail libellé
ainsi :
Bail de regrat
Aux sieurs Roux pére et fils
L’an mil sept cent soixante-huit, le vingt-six jour du mois d’avril…furent présents Messieurs Marc Bommenel et Dominique Grimel consuls de ce lieu de Cairanne…
Ils ont baillé et baillent au sieur Pierre Joseph Roux fils émancipé fils du sieur Joseph Roux ancien regrattier…acceptent pour eux et pour leur savoir et le regratage
et debitte du sel pour les habitants de Cairanne en raison de trente-huit patards ou patas la cosse au prorata la demi cosse …
Ils ont promis et promettent d’aller prendre le sel dans le grenier à sel de la ville d’Avignon à leur propre frais, et dépenses risques et périls fortune et d’en acquérir
toute la quantité qui sera nécessaire pour les habitants à la condition que les regrattiers teindront un registre de la quantité de sel qu’ils livreront
à chaque particulier…en payant le dit sel à raison de trente-huit patards ou patas la cosse et ne pourront donner au-dessus de 6 cosses aux particuliers…
Curieusement ces commerçants vendent la cosse au même prix que le prix d’achat.
Une explication « officielle » est donnée :
Dans une ordonnance du vice légat Bondelmonti du 7 janvier 1732
le rédacteur remarque que, pour vendre le sel au détail, chaque communauté du Comtat désigne un regratier ; le choix du candidat se fait aux enchères ; il tombe sur
celui qui propose le prix le plus bas. Or, il arrive souvent que le titulaire de cette charge s'engage à vendre sans aucun bénéfice, voire à perte, ce
qui implique nécessairement qu'il se rattrape par ailleurs, soit en faisant de la contrebande avec la France, soit en débitant du faux sel qu'il se procure
auprès des fabricants de poudre qui sont nombreux dans le Comtat.
Pour réduire la fraude, à partir de 1770, sous la pression des fermiers du Royaume de France, on cherche à limiter la quantité de sel livrée. Un système de billet de
délivrance de sel est mis en place, indiquant par foyer le nombre de personne, de bêtes et de salaisons, système qui n’a jamais fonctionné car non contrôlé.
Nous en avons trouvé un billet pour Richerenches.
En 1794, le Comtat est devenu français, les coutumes du Comtat sont supprimées. Les archives
nous apprennent qu’un certain Mathieu fermier au Cabaret au sud du château Gallifet se
plaint de la suppression de la vente et droit de transit du sel qu’il avait baillé, et demande une compensation. Il est renvoyé devant le receveur du domaine national d’Orange
pour solder son bail, sans compensation, le 26 ventôse an 6 (16 mars 1798).
On peut en déduire ainsi que Cairanne avait un péage au Cabaret, situé à 4 km de la frontière avec le Dauphiné sur la route d’Avignon à Lyon via Grignan et qu’il existait un droit
de passage pour les marchandises traversant le Comtat. Bien sûr, il y avait un bureau de douanes à Tulette en Dauphiné qui dépendait de Valence pour taxer les
marchandises entrant dans la Dauphiné !
Contrebande
On a vu qu’en 1730 il passait en fraude au moins 2 000 minots de sel en Dauphiné soit 100 tonnes.
La tentation était irrésistible : un comtadin payait le sel au grenier d'Avignon 8 puis 6 livres le minot ; pour la même quantité, il en coûtait 22 livres à
un habitant du Dauphiné s'il le prenait au même ·point de vente, 23 livres s'il l'achetait à Pierrelatte, 24 livres à
Valence .
Cependant en cas de capture d’un contrebandier par les gabelous, c’est un crime de faux-saunage. C’est la Commission du Conseil de Valence qui juge les contrebandiers.
Les condamnations sont terribles : galère, peine de mort à travers différents supplices .
Evidemment les contrebandiers ne prennent pas le chemin de tout le monde ! Cependant il existait sur le territoire de Cairanne un « chemin des mulets » qui longeait l’Aygues.
Cette dénomination se retrouve à Valence avec une double dénomination « chemin des contrebandiers » ou « chemin des mulets » Peux-t-on extrapoler pour Cairanne cette double dénomination ?
Gérard Coussot
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Source : ADV
Paroisse de Richerenches : billet de délivrance de sel pour cinq personnes, 0 gros bestiaux à pied fourchus et deux à pied rond, trente bestiaux lanus et 0 cochon à saler
  René Moulinas,
AVIGNON, LE COMTAT VENAISSIN ET LA CONTREBANDE DU SEL AU XVIIIe SIECLE, Études héraultaises, N°4, 1983.
  L’étymologie est incertaine : pourrait venir de gratter (source dictionnaire Littré).
 ADV, DD4, notaire Bon.
 Vente, en détail et de seconde main, de menues denrées, particulièrement du sel, des grains, du charbon.
Source : IGN modifiée
Cairanne : en bleu, la route ancienne d’Avignon à Lyon. Dans le rond jaune, le Cabaret où se situe le péage. En vert, le chemin des mulets. En pointillés rouges, la frontière entre le Comtat
et Dauphiné. L’étoile symbolise l’emplacement du pont sur l’Aygues
 BMA Ms 2434
 ADV, ACCairanne HH1
 Valence a 111 bureaux pour la perception des droits du Dauphiné !
 Certains auteurs proposent le prix de 33 livres
( https://fermege.meshs.fr/)
 Dans Candide, Voltaire énumère les fléaux de l'humanité
dont la commission du conseil de Valence.
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