Ecole
Je suis né au hameau des Girards en 1930 , sur la commune de Rasteau où mes parents étaient venus travailler comme ouvriers agricoles dans la plus grande ferme du village
de l’époque.
J’avais deux frères plus âgés de deux et quatre ans. Lorsque je pris à mon tour le chemin de l’école, à cinq ans, mes frères me tenaient par la main.
Nous avions trois kilomètres à faire à pieds.
Je me revois encore, arrivant dans la cour de l’école où mes frères me laissèrent à des dames que je ne connaissais pas, au milieu d’autres enfants inconnus parmi lesquels
se trouvait Madame Chevinesse qui fut ma première maîtresse.
L’année suivante, nous eûmes une nouvelle institutrice plus jeune qui venait de Jonquière en voiture. À cette époque très peu de femmes avaient le permis de conduire et
sa voiture était une Peugeot 202 rouge, décapotable. Je la revois encore arrivant le matin, nous étions tous à la grille pour la regarder arriver.
Quel évènement !
Guerre
À la maison nous ne savions rien des évènements qui se déroulaient en France, nous n’avions ni la radio ni les journaux pour connaître les nouvelles.
J’avais neuf ans, un jour, à l’école, la maîtresse nous parla de la guerre, elle nous donna des livres avec les consignes de ce qu’il fallait faire en cas de bombardement
ou des gaz, mais nous étions trop petits pour comprendre.
Il y eut la réquisition des chevaux et des mulets sur la place du village, il y eut la mobilisation générale. L’école fut occupée par l’armée française pendant quelques mois
nous allâmes dans la salle des fêtes du Café qui avait été réquisitionnée et séparée pour tous les élèves.
Puis il y eut l’armistice et tout rentra dans l’ordre. Tout, c’est beaucoup dire, car les cartes de ravitaillement apparurent avec les restrictions de toutes sortes.
À la maison, nous avions plusieurs catégories de cartes : J1-J2-J3 et travailleurs de force, 150 grammes de pain pour un J3 et travailleur de force,
50 grammes de beurre par mois, quant à la viande elle était introuvable. Plus de café ni de sucre. Pour le sucre nous avions quelquefois du raisinet,
sorte de mélasse faite avec du moût de raisins. Cela ressemble à la pâte de coings. Pour le café de l’orge grillé mélangé avec des glands de chêne vert.
Je me souviens être allé avec l’école ramasser des glands dans les collines du Rasteau, pour faire du café.
Nous autres enfants avions des chaussures avec des semelles de bois, dans lesquelles mon père plantait des clous pour que le bois s’use moins vite.
Comment avoir du pain ?
Le plus difficile fut le manque de pain, nourriture de base. Le 15 du mois, nous n’avions plus de ticket, mais sachant monter en vélo, je devais faire le tour des boulangeries
environnantes jusqu’à Vaison. J’attendais alors mon tour, pauvre gamin timide et affamé. «Qu’est-ce que tu veux toi ? Pas de ticket, pas de pain ! ».
J’étais désespéré de rentrer à la maison bredouille...
Alors dans ma petite tête d’affamé, germa une idée : les boulangers et autres commerçants ne devaient pas manger que du pain ou autres produits... je devins braconnier !
Le soir, en rentrant de l’école, j’allais poser des pièges à des endroits propices où les lapins pullulaient, et le matin de bonne heure, j’allais relever mes prises
fructueuses, de même pour les grives , dans les haies et autour de la maison, et nanti de tout ce gibier, le jeudi je faisais mon petit tour, et là, j’entendais toujours
le même refrain : « Pas de ticket, pas de pain ! »
Alors, j’osais montrer discrètement des oreilles ou des plumes, et avec cela, aussitôt, je voyais les regards changer. On me poussait dans l’arrière-boutique et j’avais
droit à un ou deux pains, et je continuais mon petit tour le cœur plus léger. Je revenais bien vite à la maison, fatigué mais heureux car j’étais très petit à cette époque
et n’arrivant pas à la selle, je devais tout le temps pédaler en danseuse.
Souvenirs de guerre
Le 11 novembre 1942, l’armée allemande envahit le Sud de la France et vint remplacer l’armée italienne cantonnée au Plan de Dieu.
Pour tous les villages environnant, les mairies devaient fournir du personnel pour aller travailler au camp, ouvrir des pistes dans les bois et les hermas,
d’environ quarante mètres de large, jusque dans les bois près de Sablet et creuser des alvéoles afin de camoufler les avions sur lesquels ils mettaient de grands filets.
Mon père et mes deux frères y allèrent plusieurs fois réquisitionnés par la mairie de Rasteau.
En 1943, au mois de mai, je dus quitter l’école pour aller aider un cousin à Villedieu, dont le fils unique devait partir en Allemagne travailler au S T O , service du
travail obligatoire.
Après le débarquement des troupes alliées en Italie puis en Corse, les avions des alliés venaient presque chaque jour bombarder et mitrailler les camps d’Orange-Caritat
et celui du Plan de Dieu plus près de nous.
Les avions arrivaient le matin par le Ventoux, les Dentelles de Montmirail, en rase motte pour échapper à la DCA, et l’après-midi c’était par la vallée d’Aygues et Nyons.
Les avions passaient au-dessus de nos têtes, nous faisions de grands gestes avec des serviettes, et les pilotes nous répondaient d’un battement d’ailes,
ce qui nous comblait de joie et puis nous rentrions vite nous mettre à l’abri.
Mort d’un aviateur
Le 6 août 1944, j’étais au jardin avec mon frère quand nous entendîmes un bruit de moteur différent des autres jours, plus fort, plus strident. Nous n’avions jamais vu
ces appareils: ils avaient deux moteurs, doubles fuselages et le poste de pilotage au centre de la carlingue. C’était des «Lighnings» qui volaient très bas, soudain l’un d'eux
fût touché au fuselage arrière gauche : une flamme bleue jaillit, l’avion tourna au-dessus de nos têtes comme si le pilote voulait sauter, mais étant trop bas, il continua sa
course jusqu’à la route de Cairanne à Saint Roman, laissa tomber une petite bombe qui explosa devant la maison d’Alexandre Karassef
: un éclat traversa la porte d’entrée
et se ficha dans le buffet, sans toucher personne heureusement.
L’avion tourna en continuant son vol comme il pouvait mais vint percuter le sol au hameau de Blauvac où il explosa. Quelques jours plus tard, un habitant du hameau trouva
la plaque d’identité militaire du lieutenant Simpson. Les restes du pilote furent ensevelis dans le cimetière de Rasteau et restitués à sa famille après la guerre.
Les Américains arrivèrent le 26 août à Rasteau avec des chars Sherman, des GMC, des jeeps avec leurs remorques, dans lesquelles il y avait tout un fourbi : les cartons de
biscuits, de chocolats, paquets de cigarettes étaient mélangés avec leurs armes, grenades et carabines. Ils nous donnèrent des biscuits et du chocolat ce qui était nouveau
pour nous.
La vie reprit tout doucement. En 1946 je fus embauché pour remplacer un facteur malade pendant trois semaines. Ce remplacement dura... presque quarante ans, mais ceci est une autre histoire !
Edmond Gueyte
Avec la complicité d’Anne Laberinto-Gridine
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 Hameau situé à Rasteau à la limite de Cairanne
Source : famille Vouzellaud
Livre de 1939 distribué dans
toutes les écoles de France
Source : famille Mounié
Élément de la bombe tombée
chez les Karassef
Source : GC
Monument sur la commune de Plan-de-Dieu en reconnaissance des pilotes américains tués lors des attaques de l’aéroport allemand
Source : GC
  Au nord de Cairanne sur la route de Saint-Roman
 À l’est de Cairanne
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