vous êtes sur le site : www.cairannevieuxvillage.eu


Dossier "Les rubans du Patrimoine" de Cairanne : Cliquez


La chronique de septembre 2021

1773 : trois cairannais envoyés aux galères


version imprimable

Terrible formule
En 1773, dans son testament, Jean Bonnefoy habitant de Cairanne, lègue à ses enfants et petits-enfants Joseph et Philippe car « le dit jean Pierre Bonnefoy leur père qui quoique encore vivant se trouve mort civilement pour avoir été condamné aux galères ...»

Nomination d’un tuteur (1774)
« Depuis environ deux ans, la dite vigne se trouve sans culture, attendu que le dit Payan fils n’a pas la travaillé pour avoir été condamné aux galères perpétuelles, ce qui allait engager le dit Bayle à se pourvoir en justice pour faire nommer un tuteur aux enfants...»

Condamnation par le parlement d’Aix-en-Provence, le 4 mars 1773
Vu par la cour le procès criminel et procédure faite par le lieutenant criminel au siège de Carpentras à la requête du substitut aux lègues ( ?) accusateur sur vols nocturnes et autres vols ou recèlement… contre Pierre Antoine Payan, travailleur natif du lieu de Cairanne Jean Pierre Bonnefoy dit Tarandol aussi travailleur du dit lieu … et selon l’extrait de la sentence rendue par le dit lieutenant le 23 décembre 1772 … en déclarant le dit Pierre Antoine Payan du dit Cairanne arrété, atteints, confex et convaincue du vol de quatre moutons fait dans la nuit du 8 juin dernier dans le bercail où paisse le troupeau de la grange de chantal au terroir du dit lieu de Cairanne ..les avoir condamnés à être respectivement flétris d’un fer chaud en forme de trois lettres GAL sur l’épaule droite…et à être amenés comme forçat sur les galères du Roi pendant le temps de cinq ans…
Et de suite, nous déclarons la contenance bien instruite contre le dit Roche Gille dit Fabricon du dit Cairanne atteint convex et convaincu de différents vols, de quoy l’avons condamné à servir comme forçat sur les galères du Roi pendant dix ans et à être flétri d’un fer chaud…


Le vol dans le Royaume de France au XVIIIe siècle
Ce crime « le plus bas de tous ceux qui troublent l’ordre social » est très sévèrement réprimé sous l’Ancien Régime . Le vol de biens qui ne peuvent être laissés dans un endroit clos, vols de légumes, vols d’animaux, sont des vols qualifiés et l’usage est de condamner aux galères le voleur même s’il s’agit d’un premier délit. La peine est aggravée si le vol a lieu la nuit. La justice seigneuriale est encadrée par le Parlement de la Province pour les affaires de vols qui juge en appel et dispose d’un pouvoir d’interprétation des lois. Le parlement peut modifier à sa guise une peine prononcée par les justices seigneuriales, par exemple transformer une peine de galère à perpétuité en peine de mort... Les galères sont supprimées en 1749, remplacées par le bagne localisé dans les arsenaux : Toulon, Rochefort et Brest. Mais l’expression demeure jusqu’en 1790 .
Autres sanctions "complémentaires" :
  • la flétrissure : marque au fer rouge sur l’épaule droite du condamné de différentes lettres, GAL étant la plus courante.
  • le bannissement : c’est l’interdiction de cité ou d’une province ou du Royaume de France pour un condamné. Il ne devra pas enfreindre son ban sous peine de nouvelles sanctions.
  • le carcan ou l’exposition : le condamné est exposé au public avec un écriteau expliquant les raisons de sa condamnation.
Les condamnés sont amenés souvent à pied, enchainés à travers le Royaume, vers les bagnes: c’est « la chaîne ».

Le vol dans le Comtat Venaissin
Les sanctions sont aussi sévères dans le Comtat Venaissin. Il y a deux, parfois trois, niveaux de tribunaux : juge local, Carpentras et la congrégation criminelle d’Avignon. Le bannissement, les galères, la peine de mort sont prononcés aussi facilement que dans le Royaume de France. La marque au fer rouge sur l’épaule est sous forme de deux clefs en sautoir .
Il y a une « convention » entre le Royaume de France et le Comtat Venaissin : les condamnés aux galères sont envoyés dans les bagnes du Roi et rejoignent la chaîne qui passe par le Comtat à Avignon pour aller vers les bagnes de Marseille ou Toulon .
Pour l’affaire qui nous intéresse, les trois niveaux sont : les officiers de justice de la Baronnie de Sérignan puis les juges majeurs de Carpentras puis le Parlement d’Aix qui remplace la Congrégation Criminelle d’Avignon à cause de la situation politique du moment.

La situation politique de 1768-1774 : occupation française du Comtat Venaissin
En 1768, le Comtat est attaché au Royaume de France par Louis XV pour punir le pape d’abriter les Jésuites. Dans l’esprit des habitants, ce rattachement à La Provence est définitif et une nouvelle administration se met en place. La Congrégation Criminelle d’Avignon est supprimée, remplacée par le Parlement d’Aix-en-Provence. En 1774, le Saint-Siège à Rome publie un bref (Décret) qui dissout la congrégation de Jésus (ordre des Jésuites). Aussitôt, à la surprise générale, Louis XV restitue le Comtat Venaissin au Saint-Siège en 1774.
Donc à la date de la présente affaire, les juges de Carpentras existent toujours mais, en appel, c’est le parlement d’Aix-en-Provence qui est impliqué et qui condamne les trois cairannais au bagne.

Le bagne de Toulon
La fiche d’arrivée au bagne à Toulon de deux des trois condamnés, Payan et Bonnefoy, existe aux Archives du bagne :



Source : SHD Toulon
Cases matricule 6839 et 6840 de Pierre Antoine Payan et Jean Pierre Bonnefy arrivés par la même chaîne au bagne de Toulon. On découvre qu’ils sont condamnés à vie, sans explication contrairement au jugement de Aix qui les avaient condamnés à cinq ans de bagne, Pierre Antoine Payan meurt à l’hôpital des chiourmes en 1784. Jean Pierre Bonnefoy s’évade le 18 février 1794 (an 2), repris, il meurt le 5 mai 1794.


Louis Gilles, troisième condamné à 10 ans de bagne, apparait être resté à la prison d’ Aix où il meurt le 6 mai 1785. Il est enterré dans le cimetière de la paroisse Sainte Madeleine .

Source : AD Bouches-du-Rhône
Extrait de décès de la paroisse de Sainte Madeleine à Aix-en-Provence



Aujourd’hui les peines infligées à Payan et Bonnefoy apparaissent disproportionnées avec la chose volée : le bagne à vie pour 4 moutons volés la nuit !

Nous remercions la famille Payan, Christine Michel des ADV et les membres de l’association Histoire et patrimoine seynois (La Seyne-sur-Mer) pour leur contribution.

Summary: This chronicle reports the life sentence of three Cairannais for having stolen four sheep during the night. Theirs names are recorded in the Toulon penal colony register. This condemnation, which seems normal in 18th century, now appears totally disproportionate.

Références
ADV,notaire Bon, 3E70247.
ADV, notaire Bon, 3E70248.
AD Bouches-du-Rhône, B5642.
Accusé et reconnu coupable.
Dorothée Reignier, La répression du vol au XVIIIe siècle au parlement de Flandre, Mémoire université Lille II, 2001-2002.
Condamnation d’Etienne Verdan de Travaillan, ADV, 2Mi497.
Inventaire des archives du palais apostolique d’Avignon. Tome II lettre G. ADV.
ABouches-du-Rhône, table des sépultures de la paroisse Sainte Madeleine, 1785.
Mise à jour : le 1 septembre 2021
webmaster : Gérard Jacques Coussot