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Dossier "Les rubans du Patrimoine" de Cairanne : Cliquez


La chronique de mars 2021

De 1414 à nos jours : le prix de la terre agricole à Cairanne (1)


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Nous allons examiner trois cadastres qui ont donné lieu à des estimations de prix de terres agricoles du territoire de Cairanne et faire une comparaison avec la carte géologique et la carte Cru du vignoble de Cairanne, publiée en 2018.

Cadastre de 1414
Le premier cadastre date de 1414. Son étude a donné lieu à un mémoire érudit de Madame Chevrier dans le cadre d’un accord de coopération entre l’université d’Avignon - mairie de Cairanne - association Cairanne et son vieux village.
Ce cadastre, comme tout cadastre, est destiné à mettre à jour les impôts que doivent payer les habitants avec ici la particularité de vouloir instituer une assiette d’imposition égale pour tous les trois états (La noblesse, le clergé, les communautés).
Une révolution à cette époque ! L’enregistrement de ce cadastre se déroule à un moment particulier de l’histoire du Comtat Venaissin où trois papes se disputent le pouvoir spirituel et temporel jusqu’en 1417. Le royaume de France n’est pas mieux loti avec un roi fou Charles VI qui est battu par les Anglais à Azincourt en 1415.
Cependant la réalisation de ce cadastre se fera sans accroc entre 1414 et 1417.
Celui de Cairanne est daté de 1414.
Quatre personnalités ont été désignées pour mener à bien ce travail. Il faut noter que la métrologie médiévale est très éloignée des conceptions modernes. Elle est basée sur des mesures de quantité de grains que l’on peut semer, sur des estimations d’efforts en temps de travail… Aussi trouver des équivalences métriques reste hasardeux.
Les surfaces des terres labourables sont estimées en éminée qui est aussi une mesure de volume de grains. Une surface est de X éminées car elle peut être ensemencée avec X mesures de grains ou éminées.
Les surfaces de vigne sont estimées en fossoyrée (ou fosserée), unité de surface correspondante à la surface de vigne qu’un homme peut piocher en une journée . Les surfaces de pré sont estimées en sechoryrée (ou sétérée).
Il n’y a aucun plan.
Le territoire de Cairanne est divisé en trois parts en ces termes :
«Et de même ils divisèrent les dits lieux en trois parts. Le premier territoire va de la porte du lieu débouchant sur la route de sainte Cécile, à la fontaine de Roceu, traversant le chemin de la condamine, jusqu'à la Riaille du seigneur Guillaume, puis de la Riaille jusqu'àu briour et du dit briour en suivant le chemin jusque chez Peyre de Chave et ladite Peyre de Chave, en suivant le chemin de Chabrille et suivant le chemin pour finir au dit lieu Cairanne jusqu'à la terre de la confrérie et de là jusqu'au lieudit de la fontaine de Roceu. Et ils apprécièrent les terres franches à dix gros l'éminée et à huit gros la fossoyrée de vigne franche, ce que les terres du premier territoire peuvent partager ensemble.
Le deuxième territoire part de la fontaine de Roceu jusqu'à la berge de la rivière d'Aygues, et, en suivant la rive, jusqu'aux limites de Travaillan, Rasteau et Saint-Roman-de-Malegarde. Et ils apprécièrent l'éminée de terre franche de ce deuxième territoire à six gros, la fossoyrée de vigne à six gros et la sechoyrée de prés à trois florins.
Le troisième territoire se situe de l'autre côté de la rivière d'Aygues jusqu'aux limites des communautés de Sainte-Cécile, de La-Garde-Paréol et de Travaillan. Et ils apprécièrent l'éminée de terre dudit troisième territoire à trois gros et la fossoyrée de vigne à trois gros.»

Donc trois parts définies par des lieux dits :
  • Fontaine de Roceu : fontaine au pied du village
  • Condamine : terre appartenant au Pape, située entre la fontaine, le chemin des Travers, la route historique de Sainte-Cécile et le vieux canal (près de Souville)
  • Rialle : ru, ruisseau, Rieux,
  • Briour : gué en provençal,
  • Peyre de chave : existe aujourd’hui
  • Chabrille : existe
  • Terre confrérie : les Naïses aujourd’hui.
La carte Figure 1 montre les limites probables de la Part 1 en bleu.
Voilà les cotations données (Référence 2), sans chercher des correspondances :
Part Terre de labour Vignes Prés
1: autour du village 10 gros par éminée 8 gros par fossoyrée 0
2: est du village 6 gros par éminée 6 gros par fossoyrée 3 florins par seychorée
3: ouest du village 3 gros par éminée 3 gros par fossoyrée 0

Ces chiffres peuvent s’expliquer : les terres autour du village sont les plus cotées car elles sont accessibles facilement, amendables par les déchets du village, les plus humides et les plus fertiles du point de vue géologique.
Les terres de l’autre côté de l’Aygues (Part 3) sont les moins cotées car elles moins accessibles, il faut traverser l’Aygues, ce qui a toujours présenté un obstacle avant la construction d’un pont (1847). Cependant elles sont plates et donc plus facilement exploitables que la Part 2 qui est souvent pentue.
Il doit exister d’autres raisons que nous ignorons !
La Part 1 autour du village de Rasteau donne pour la terre de labeur : 18 gros par éminée soit le double de la valeur de celle de Cairanne, sans raison logique, excepté que ce ne sont pas les mêmes estimateurs !
Cairanne compte entre dix et vingt hectares de vignes . Les objectifs de vouloir installer une fiscalité pour tout le Comtat Venaissin, utopie égalitaire , et les incohérences et imprécisions de sa réalisation font que ce cadastre ne sera jamais utilisé !

Le cadastre de 1702
Trois cents ans après le premier cadastre, en 1681, les consuls demandent au vice Légat d’Avignon d’établir un nouveau cadastre et de faire procéder à « un nouvel arpentement et estime suivant la coutume parce que le livre terrain se trouve déchiré et brouillé… parce ce que il y a une très grande quantité de terrains qui ont été mis en culture…».
En 1702, Jean Martin, arpenteur professionnel, remet son travail. Le territoire de Cairanne est décomposé en 40 quartiers, chaque quartier est coté en escu par saumée . La saumée est aussi une unité de mesure de volume de grains. On retrouve la métrologie médiévale : la surface d’un terrain est le nombre de saumées que l’on peut semer.
Pour la culture de la vigne, c’est un problème ! Mais au moins une certaine simplification s’impose sur le papier !
Chaque parcelle est définie par rapport à un lieu-dit et aux parcelles environnantes, un progrès par rapport au cadastre de 1414. La surface, estimée en saumée , est cotisée en florin, sol et denier (non en escu !).
Nous avons repris les quartiers les plus cotés, reportés sur la Figure 2. On retrouve globalement la Part 1 du cadastre de 1414.
Sur la Figure 3, sont portés les quartiers les plus cotés en rouge et les moins cotés en vert. La zone rouge pleine, le lieudit les Naïses, au nord de la fontaine publique, est la zone la plus cotée de Cairanne. Ce lieudit est coté 40 escus par saumée. Les moins côtés, en vert, valent 3 escus par saumée.
Une telle échelle d’estimation, pour les terres cultivables, de 3 à 40 étonne surtout si on considère qu’il n’est défini que trois types de culture : céréales qui dominent, vigne, verger et jardin comme en 1414.
Un cadastre, même bien fait, est un document plein de mystères .
Sur la Figure 4, toutes ces zones citées sont reportées sur une carte géologique .

Gérard Coussot

Summary : Description of the evolution of the agricultural land prices based upon three cadasters, the first being dated 1414. The surface measurements and the quotations used in the Middle Ages are presented but their numbers and their inaccuracies can provide only relative comparisons.

(À suivre)
JC Leyraud, Occuper, nommer, diviser l’espace rural, Les Alpes de lumière, 2019.
Ghislaine Torrice-Chevrier, Cairanne (1414) : une étude du cadastre, mémoire de maîtrise 2, Université d’Avignon, 2020. Merci à Madame Chevrier de nous avoir autorisés à extraire ces informations de son mémoire.


Source : association
Fig 1 : cadastre 1414
Part 1, la plus cotée : à l’intérieur de la ligne bleue entourant le vieux village.
Part 2, moins cotée : la partie restante du territoire de Cairanne à l’est de l’Aygues.
Part 3, encore moins cotée : la partie ouest du territoire de Cairanne (au-delà de l’Aygues)

Ce domaine est défini dans la référence ADV, B333, Cours de Justice. Merci à Guillaume Marcel de Rasteau d’en avoir fait la traduction latin français.

Source : association
Fig 2 : cadastre de 1702
Les terres agricoles les plus cotées en rouge, la plus riche les Naïses, zone rouge pleine. En bleu, le cadastre de 1414.

Une explication : les terres de l’autre côté de l’Aygues ppartiennent majoritairement à des nobles et, en sous-évaluant leur terre, ils diminuent leur imposition.

Source : association
Fig 3 : cadastre de 1702
Les terres les plus cotées sont en rouge et les terres les moins cotées sont en vert.

Jean-Claude Leyraud propose un chiffre de vingt hectares, De la polyculture traditionnelle à la monoculture de la vigne à Rasteau, Etudes Vauclusiennes, juillet-décembre 1994.

Monique Zerner, Le cadastre, le pouvoir et la terre, une expérience fiscale en Comtat Venaissin au début du XVe siècle, thèse, Université de Provence, 1987.

Il existe quelques feuillets aux ADV sous la cote CC6.

En 1689 un arpentage partiel est fait dans la Montagne, les Garrigues (nord de Saint-Andéol) et Les Ramiéres (bords de l’Aygues), ADV, DD1

Ce qui signifie que le terroir et les cultures sont de qualité suffisamment homogène.

Source : Geoportail modifié
Fig 4 : carte géologique des sols dominants de Cairanne
Sur cette carte, différents sols sont reportées:
  • Les sols en vert (fluviosols) correspondent à des alluvions récentes : cailloutis de calcaire recouverts de limon, favorables à une exploitation agricole et amendés par les déchets humains et animaux lorsqu’ils sont proches du village: ils sont donc cotés les plus chers. Le risque de transmission de maladies bactériennes n’est pas encore à l’ordre du jour !
  • Les sols en rose (dolomitosols) correspondent à des marnes de différentes origines, éloignés du village, et sont donc les moins chers pour le cadastre de 1702.
  • Les sols à l’ouest de l’Aygues sont cotés les moins chers en 1414 et ont des valeurs moyennes en 1702.
  • Les sols en jaune (calcosols) sont argileux et caillouteux.



En réalité en saumée, et sous-multiples : éminée et cosse.

De Chenevrilles, Unités cadastrales en Provence du XVe au XVIIIe siècle, Annales de Provence, N° 2 et 3, 1910.

Mise à jour : le 1 mars 2021
webmaster : Gérard Jacques Coussot