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La chronique du mois de mai 2019

1796 : vente du château Gallifet
Soupçons de malversation


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Rappel
Nous pensions en avoir terminé avec l’histoire du château Gallifet de Cairanne mais les archives sont pleines de surprises !
Nous étions le 17 octobre 1796 lors de la vente aux enchères du château Gallifet, devenu Bien national. Un marseillais, André Meissel fils, en est l’heureux acheteur via un prête-nom Joseph Vaton, vente confirmée par de nombreux documents révolutionnaires de cette époque .
Puis plus aucune trace dans les archives.
Nous avions pensé que la vente n’avait pas dû être finalisée et que l’institution de la Légion d’Honneur avait récupéré le château .
Nous avons même contacté une famille Meissel à Marseille, sans résultat !

Découverte aux archives
La révélation de la malversation est venue six mois après, au détour de la lecture d’une table d’enregistrement en date 1800 :
Vendeur : la Nation ; acheteur : Caroline Offand épouse de Joseph Lesouyer ; lieu : Château Galliffet à Cairanne ; notaire Boulard .
L’acte notarié chez M° Boulard intitulé déclaration de command est ainsi rédigé et résumé:
L’an neuf de La République, le huit frimaire, an 9 (29 novembre 1800) par devant nous, fut présent le citoyen Pierre Joseph Vaton, lequel voulant rendre hommage à la vérité et pour le décharger de sa conscience de son plein gré déclare en faveur de dame Caroline Eléonore Nicole Offand épouse libre du citoyen Joseph Louis Auguste Lescuyer que quoique le Procès-Verbal de l’Administration centrale du département de Vaucluse en date du 26 vendémiaire an 5 au profit du dit Vaton, adjudicataire d’un domaine dit le château de Gallifet à Cairanne moyennant le prix de Cinquante-trois mille neuf cent livres, néanmoins la vérité est telle que le dit Vaton n’a fait cette acquisition que pour le compte de la dame Offand Lescuyer puisqu’elle lui a fourni tous les fonds et pour laquelle le dit Vaton avait accepté la déclaration de command faite en sa faveur par le citoyen André Meissel fils habitant de la ville de Marseille premier et légitime soumissionnaire de la dite propriété… En conséquence en tant que de besoin le dit Vaton met et subroge la dite Offand Lescuyer à l’effet de par elle jouir et posséder la dite propriété…
Par cette surprenante confession, dame Lescuyer- Offand devient officiellement propriétaire du château Gallifet. Elle est absente et représentée pour cet acte dans lequel il est écrit que « son époux est absent depuis plusieurs années ».

Mais pourquoi tant de falsifications ?
La vente des biens nationaux dans le Vaucluse a donné lieu à de ténébreuses affaires et des scandales qui éclaboussent le tout nouveau département de Vaucluse et qui opposent Républicains incorruptibles et « patriotes d’affaires » .

Rencontre avec l'Histoire
Remontons le temps Le 15 juin 1794 (An 2), dans les tables de mariage d’Avignon il est indiqué le mariage de Joseph Louis Auguste Lescuyer, (et non Lesouyer), 19 ans, Adjudant général au service de la République Française avec Caroline, Eléonore OFFAND, 18 ans, originaire de Sorgues .
Et cette chronique rencontre l’Histoire ; ce Lescuyer n’est autre que le fils du notaire Lescuyer assassiné à Avignon le 17 octobre 1791, épisode connu sous le nom du massacre de la Glacière à Avignon. (Voir l’encart). Notre Lescuyer, 16 ans, se venta d’avoir tué dix assassins de son père .

Le colonel Lescuyer : une vie animée
Le dossier militaire est miraculeusement conservé au service historique de la Défense à Vincennes (SHD) et une partie aux Archives nationales . On retiendra l’essentiel pour cette chronique, sa vie étant très animée après un tel départ !
De 16 à 19 ans : aide de camp, officier de la Garde Nationale, lieutenant au troisième bataillon de Vaucluse, adjoint aux adjudants généraux, adjudant général, chef de bataillon. Lescuyer fait la campagne d’Italie de 1793. Blessé, il fait une demande pour être nommé receveur général du département de Vaucluse, demande acceptée en 1795.
Il quitte ce poste un an après. Récupéré par Bonaparte, envoyé en Italie, il devient en 1800 colonel. Blessé à nouveau, il est mis à la retraite en 1803. Nouveau service, nouvelle retraite en 1806.
Un grand blanc dans sa carrière militaire jusqu’en 1815 où il offre ses services à Napoléon de retour de l’ile d’Elbe.
Puis après Waterloo, il renie son passé et propose ses services au Roi. « Le vrai motif c’est la haine que me portait Napoléon ». Sans succès, mais le Roi le décore de la Légion d’Honneur le 17 octobre 1814 .
Il meurt oublié en 1844.

La malversation
On peut être étonné que sa carrière militaire qui démarre en fanfare s’étiole au cours du temps, mais il y a une zone d’ombre, reportée dans le dossier militaire.
Lors de son passage comme receveur général du département de Vaucluse (1795-1796) il a laissé un déficit de 100 000 Livres. Il est inculpé par le caissier de la Trésorerie et poursuivi d’abord par le tribunal criminel de Carpentras avec Vaton... qui est adjoint de Lescuyer au moment des faits. Le jury populaire les absout, deux jours après la transmission du château Gallifet à l’épouse Lescuyer par Vaton.
L’accusation est reprise par les tribunaux de Paris, renvoyée dans le Vaucluse. Il est mis en prison à Nevers, libéré par Bonaparte lors de son passage dans cette ville … La Cour des comptes est saisie pour cette malversation en 1814 (20 ans après !). Le colonel Lescuyer dans un mémoire explique que ce fut « le résultat d’écritures inexactes provenant de son inexpérience étant âgé de 20 ans».
Des arrêtés favorables furent rendu les 10 juin 1814 et 16 mars 1815 .

Faux en écriture
En réalité, une partie de l’argent détourné a dû servir à acheter le château Gallifet le 17 octobre 1796 . L’achat est fait au nom d’André Meissel via le prêt nom Joseph Vaton qui en réalité l’a acheté pour la femme Lescuyer, selon la surprenante confession rapportée plus haut. D’où toutes ces falsifications pour cacher l’acheteur réel jusque dans les tables d’enregistrement où le gratte-papier via le notaire écrit Lesouyer au lieu de Lescuyer, que le château Gallifet appartient à la Nation alors qu’André Meissel via Vaton en est l’acquéreur officiel depuis plus de quatre ans !

Le château Gallifet
Il aura donc fallu attendre patiemment quatre ans en 1800 pour que la prise de possession du château Gallifet se réalise pour Caroline Offand-Lescuyer. Le château et ses terres sont loués. Un bail est signé chez M° Bon à Cairanne entre Caroline Offand et les frères Ambroise et Joseph Bremond pour 8 ans, le 10 thermidor an 10 (28 juillet 1802). Puis le château est vendu le 31 janvier 1803 à deux personnes un certain Jean Lambert Juge orfèvre et Xavier François André, habitants tous deux Avignon. Par la suite, seul Juge apparait comme propriétaire unique.

Nouvelle malversation
En réalité cette vente se fait au moment où Lescuyer est accusé d’une nouvelle malversation : de l’argent a été détourné durant son séjour en Italie. Il s’exile en famille à Constantinople pour entraîner les troupes ottomanes. Retour précipité en France fin 1803, en empruntant de l’argent au général Brune, diplomate dans ce pays (qui ne sera jamais remboursé). La justice militaire le saisit mais s’embrouille : elle le convoque à Turin mais ce sera Dieppe… et les preuves sont restées à Turin. Puis peut-elle juger un civil, ancien militaire ? Enfin cette malversation intéresse le Royaume du Piémont et non la France. Bref, le colonel est acquitté !
Le versement de sa retraite est toutefois suspendue pendant 12 ans jusqu’en 1814.
Passons sur beaucoup d’autres évènements qui nous éloignent de Cairanne .

Encore une malversation ?
On découvre que son épouse a monté en 1822 un dossier de refugiée de Saint Domingue qui lui permettra de toucher une rente à vie . A aucun moment nous avons trouvé la trace d’un passage à Saint Domingue.
Gérard Coussot

Summary :The French Revolution seized the property of the nobles and clergy to sell them. The Gallifet chateau in Cairanne is sold in 1795 to an inhabitant of Marseille But this sale is a malpractice. In reality this chateau is bought by the tax inspector of Avignon under his wife’s maiden name. He also is a colonel in the revolutionary army. He withdraws the money from the State Treasury to purchase the chateau. Hence many financial transactions are made to hide this purchase..





ADV, 1Q51, 1Q57, 1Q70, 1Q576.

En réalité la Légion d’Honneur est propriétaire d’un autre château à Sainte-Cécile suite à de folles enchères (ADV, 1Q68) d’où notre erreur dans la chronique de mai 2018.

Madame Meissel a mené des recherches aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône. Elle a identifié un Andre Meissel qui aurait pu être le nouveau propriétaire floué. Nous la remercions.


Table d’enregistrement acheteur, ADV 198860.

ADV, 3E 122142.


Le massacre de la Glacière
Nous sommes en 1791, le 17 octobre, la po-pulation du Comtat Venaissin est partagée entre fidélité à Rome et rattachement à la République Française. La mairie d’Avignon, favorable au rattachement, a pour secrétaire greffier le notaire Lescuyer. La mairie est soupçonnée d’avoir dérobé un trésor au Mont de Piété. Lescuyer est amené à l’église des Cordeliers, roué de coups, il meurt. Les « patriotes » se rassemblent et arrêtent une soixantaine de « suspects papistes » qui se-ront exécutés dans la prison du Palais des Papes et leur corps jeté dans la Tour de la Glacière d’où le nom de l’événement. Ce crime horrifia la France mais resta impuni, grâce à l’amnistie de 1792. Le fils Lescuyer participe à cette tuerie et s’en sort fort bien. Trois ans plus tard il est dans l’Armée révolutionnaire puis devient colonel.


Christine Peyard, La spéculation sur la vente des Biens Nationaux dans le Vaucluse, Provence Historique, fascicule 185, 1996.

René Moulinas, Histoire de la Révolution d’Avignon, Avignon, 1986.

Deux orthographes sont rencontrées : Lescuyer ou Lescuier.
Source : privé
Assassinat du patriote L’Escuyer dans l’église des Cordeliers à Avignon

SHD, GR2Ye 2515 et2YF 153742.
AN, F/1dII/L/16.
AN, base Eléonore.
ADV, 2U30, 2U37, 2U41.
Une autre version serait une fuite en Suisse
Les archives de la Cour des comptes ont brulé à Paris lors de la Commune en 1871.

Source : ADV
Belle signature de Caroline Offand-Lescuier

Lescuyer démissionne de son poste de receveur général, deux mois après.
ADV, 3E 129256.

Source : AN
Caroline Adelaïde Nicolle Éléonore Offand, propriétaire, réfugié(e) de Saint-Domingue…

SHD, GRYe2515
Voir J. Saint-Martin, le Fils Lecuier, feuilleton dans le Radical du Vaucluse, 1904, Bibliothèque Ceccano.
AN, F/12/2849
Mise à jour : le 1 mai 2019
webmaster : Gérard Jacques Coussot