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La chronique d'octobre 2019

1925 : images de jeunesse

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La maison
J’appelle la maison ce qui à mes yeux, symbolise le rassemblement des familles Tranchier et Affre, c’est-à-dire la maison rurale dans laquelle se réunissaient autour de la grand-mère Pauline presque tous les enfants et petits-enfants, gendre et belles-filles, sa cour accueillante à la belle saison, son épaisse rangée de cyprès, sa pinède, ses vignes. Le cœur était là, même si d’autres terres plantées en vigne ou en oliviers existaient ailleurs dans le terroir.
Mes souvenirs sont figés sur une période très courte : de l’âge à partir duquel ils se créent (je suis né en décembre 1920) jusqu’en 1932, date à laquelle ma grand-mère, veuve depuis 1921, procéda au partage de la propriété désirant assurer à son fils ainé, Paul Affre, la partie du couchant de l’immeuble qu’il doit aménager. Elle s’installa alors dans la partie au levant de l’immeuble dont son deuxième fils, Albert, mon père, devenait le nu-propriétaire. A sa mort il n’y avait plus de Tranchier à Cairanne et à ma propre mort il n’y aura plus de Affre dans la maison puisque j’ai trois filles et que les descendants de Paul qui occupent la partie au couchant ont un autre patronyme.

Pauline Tranchier, ma grand-mère
Pauline Clémentine Tranchier, ma grand-mère, est née à Cairanne le 12 novembre 1846. Elle s’est éteinte le 21 février 1946 à Orange chez sa fille Laure « tante Laure » qui l’avait recueillie les derniers années de sa vie. Elle avait épousé l’instituteur du village Charles Affre en 1872. C’était une femme énergique qui avait su élever les cinq enfants qui lui restaient de ses six grossesses et mener ses terres.
De la période relativement courte, je l’ai déjà dit, au cours de laquelle j’ai pu venir chez elle, accompagné de mes parents (jusqu’en 1933), puis seul ou avec mon père ou ma sœur, je garde le souvenir de la mère que l’on reconnaissait comme chef de famille alors que même elle avait déjà dépassé les quatre-vingt ans. Le grand respect que j’ai pour elle, soixante-cinq ans après sa mort retient ma plume alors que j’allais parler de sa vie. Je préfère donc présenter quelques images que je ressors en vrac de la vie dans le Cairanne de ce temps. Mais cette vie n’était-elle pas aussi un peu la sienne ?

Images de Cairanne. Le décor
Je n’étais pas réveillé le matin en sursaut et arraché tout à coup par violence.
Je ne me souviens pas toutefois que l’on me faisait éveiller par le son de quelques instruments. Il y avait seulement les vibrations rocailleuses des gallinacés.
Dans le champ, occupé aujourd’hui par la station de pompage, une chèvre, attachée à un pieu fournissait le lait du petit déjeuner.
Restons avec les animaux. En sortant de la maison des canaris enfermés dans une ou deux cages apportaient une note de gaité tant par la couleur de leur plumage que par leurs gazouillis. En cage, ils étaient à l’abri du chat unique et d’ailleurs très familier. Dans la cour, des clapiers m’intéressaient surtout pour les cochons d’Inde qui tenaient compagnie aux lapins. Sans doute y avait-il une raison à cette cohabitation car on ne nourrissait pas les animaux pour le seul plaisir de les regarder. J’allais oublier les poules qui passaient leur temps à caqueter (d’autres bipèdes en font autant), tout en me donnant la possibilité de gober un œuf, luxe qui ne m’était pas offert tous les jours.
Cet espace animé devant la maison était fermé au couchant par un haut talus de safre dans lequel étaient creusées deux grottes, comme un peu partout dans la colline du village. Il ne reste rien dans ma mémoire sur leur contenu sauf un détail d’aménagement qui fera l’objet d’un paragraphe un peu plus loin en raison de son importance.

Le dattier de Beyrouth
Au levant, un mur resté debout jusqu’à ces derniers mois protégeait du mistral. Dans ce mur une porte s’ouvrait permettant l’accès à une parcelle de vigne.
Y aller c’était mettre le pied dans le domaine du travail, j’allais dire du « gagne-pain ». Elle était plantée d’aramon, cépage rouge charnu et juteux donnant un vin convenable. On le consommait aussi comme raisin de table, avec modération pour éviter d’amputer la récolte. Cet aramon commun cachait un trésor, une relique. Quelques pieds de dattier de Beyrouth offraient en effet quelques grappes dorées aux grains allongés qui lui valait le non de doigts de fée. La cueillette de quelque unes de ces grappes était un événement dont même mon père n’aurait osé prendre l’initiative. C’était presque le fruit défendu ! A table chacun recevait sa part. Il est arrivé que ce cérémonial, comme d’autres soit l’objet de quelques ébréchures lorsque « tante Laure » était présente. C’était une fauteuse de troubles que tout le monde aimait bien.

Les Repas
À m’attarder, j’allais oublier l’heure des repas. Il y avait au Pontet , boucherie et magasins d’alimentation notamment « la Petite Jeannette » qui avait à peu près tout ce dont on pouvait avoir besoin pour la boucherie comme en matière d’habillement ou de petit outillage. Toutefois une grande partie des produits étaient trouvée sur place : lait de chèvre, œufs, poulets, lapins, légumes. Les olives de la propriété allaient au moulin ; elles donnaient une huile très fruitée. On trouvait aussi dans la réserve du saindoux et de la graisse d’oie. Le beurre était pratiquement absent ; pourquoi en acheter quand on jugeait délicieuse la soupe au lait que j’ai plusieurs fois avalée « assaisonnée » d’huile d’olive.
Des jambons crus étaient suspendus devant la cheminée soigneusement enveloppés dans de la toile de sac qui maintenait serrée une bonne épaisseur de sel. Quand il y avait du monde le jambon restait au sel car il aurait « filé trop vite » surtout s’il y avait des jeunes. En petit groupe, mon père qui s’était attribué un « droit de découpe » procédait avec fierté au débit du nombre de tranches voulu d’une épaisseur contrôlée. Je crois que je ne dois pas aller chercher ailleurs ma préférence actuelle pour les tranches de jambon cru épaisses.
Comment se faisait la cuisson en été ? J’avoue un grand vide sur ce point. Je me rappelle surtout la cheminée de la salle commune et les marmites, dont une très grande, posées sur des trépieds au-dessus des braises ou suspendues à une crémaillère. Quand une volaille devait être rôtie, la broche tournait, entrainée par un mécanisme d’horlogerie. Et l’eau ? Un puits à l’intérieur de la maison répondait aux besoins courants, à la force du poignet. Quant à l’eau de boisson, j’allais seul ou accompagné, suivant la quantité à transporter, la chercher au jardin ; on désignait ainsi une parcelle de terrain située à cent cinquante mètres ; il y coulait en permanence de l’eau de source et un saule pleureur y avait poussé. Cette tâche quotidienne et indispensable je ne l’ai jamais considérée comme une corvée.

Une vraie corvée
En revanche, la sortie de repas quand je me la remémore, continue à me donner des aigreurs d’estomac sept ou huit décennies après. C’était l’opération « cigarillo ». Il ne s’agissait pas de renverser la République avec quelques immigrés d’Amérique centrale mais d’aller chercher chaque début d’après-midi au Pontet UN petit cigare qui se vendait aussi en boite de cinq. Sans avoir ouvert un ouvrage d’organisation du travail, j’étais persuadé qu’il était plus rationnel de ramener du Pontet cinq cigarillos en une fois que de faire cinq voyages pour un seul cigare à la fois. Pour le dire, mes mots que j’ai utilisés pourtant énoncés avec beaucoup de respect m’ont valu d’être traité de « raisonneur ». Ce n’est que beaucoup plus tard que l’on m’a expliqué que mon père voulait montrer ainsi son autorité comme il avait subi celle de son propre père.

Le coucher
Les soirées d’été étaient de simples fins de journée puis que la nuit venue me trouvait déjà couché, ce sont celles d’hiver qui sont restées gravées en moi. La lumière était fournie par des lampes à pétrole ou des bougies. Tant que nous restions dans la salle commune, nous nous contentions de celle, bien plus sympathique de la cheminée où brûlait un bon feu de bois. À l’étage des chambres, il faisait froid. Dans le lit cage en fer qui m’était réservé au bout du couloir (il existe encore) une épaisse piaillasse (en crin ?) servait de cocon ; juste avant que je me couche on avait passé le « moine » plein de braises et parfois on laissait une brique chaude enveloppée d’un lainage. Je n’avais plus qu’à m’endormir.

Les toilettes
Je vais avoir maintenant l’inélégance de parler de ce détail d’aménagement que j’ai évoqué à propos des grottes dans le safre. Les biographies des rois semblent s’intéresser à de purs esprits. Mais dans notre milieu, sans poudre et sans perruque de terriens bien réels, la nature nous imposait de faire un sort à la bonne chère. Et ce que je vais vous dire, explique pourquoi à la mort d’Auguste Martial, en 1902, l’inventaire de la maison qui comporte soixante-sept articles met une garde-robe (ou chaise percée) en troisième position à six francs, certes après après un lit équipé à dix francs et un bureau secrétaire à huit, mais bien avant une table de nuit et une vieille commode à trois tiroirs estimée chacune à deux francs. Peut-être ce meuble, que j’imagine Louis XV ou Louis Philippe, siégeait-t-il dans la chambre de grand-mère, soustrait ainsi à la convoitise générale, car je ne l’ai jamais vu. Les autres membres de la famille devaient, le moment venu, se diriger vers la grotte pour utiliser un système ingénieux et moderne dans lequel ils posaient les pieds sur deux planches (chacun sur une) dont l’écartement était assez faible pour que l’exercice ne devienne pas trop périlleux, assez large pour que les planches gardent intact leur vernis d’origine. Les mouches devaient ensuite finir le travail !
Pour être complet, je dois préciser que chacun amenait son morceau de journal, pas pour lire les dernières nouvelles, car les deux bras servaient à l’équilibre, comme le balancier des funambules. Quand on sait que le journal était, à cette époque, le papier d’emballage courant et que le Provençal ou le Petit Marseillais n’avaient pas toujours dix feuilles, on comprend qu’il fallait diviser ces feuilles en deux, quatre et huit. Quelques années plus tard, une sorte de guérite en maçonnerie, fermée par une porte et mieux équipée devait être construite accolée au pignon au levant.

À Cairanne, 2011.


Jean Paul Affre
Jean Paul Affre est décédé en 2017

Summary : The author recalls his childhood memories of his vacations in Cairanne at his grandmother's house. In those days there was no electricity and running water. It was a very simple life and yet quite enjoyable.

Et arriére-grand-mére de Danielle Coussot et Suzy Robic.



Source : archives familiales
La grand-mére Pauline entourée de sa famille. L'auteur de cette chronique est assis en bas à droite. Vers 1923.






Source : archives familiales
La cour servait aussi au jeu de boules





Source : Jardiland
Des doigts de fée!
Mise à jour : le 1 octobre 2019
webmaster : Gérard Jacques Coussot