La chronique du mois de janvier 2019
Sainte Lucie malade du chanci |
Ce tableau fait partie du programme
de restauration des tableaux de l’église de Cairanne.
Il a été décrit dans la chronique de janvier 2016.
Il a été restauré en 2014 et repris en 2015 par le restaurateur Matsunaga d’Avignon.
Ce tableau est altéré par un voile blanchâtre appelé chanci. Cette altération affecte de nombreux tableaux réalisés aussi bien par des grands maitres que par des peintres mineurs. Il ne s’agit pas d’un champignon ou d’une moisissure. Il y a formation de pores (cavités remplies d’air) soit dans les vernis de surface, soit dans les couches picturales profondes. C’est l’humidité, parfois ancienne, qui est en général la cause de ces pores. La concentration, la dimension des pores, les caractéristiques du liant entrainent un effet de diffusion de la lumière incidente naturelle blanche. Notons que le terme chanci est particulierement mal choisi puiqu'il fait référence à de la moissisure !
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Un peu de Physique C’est Gustav Mie, physicien allemand, qui en 1908, élabore la théorie de la diffusion de la lumière dans un milieu où sont disposées des fines particules et qui explique l'origine de ce voile blanchatre. Dans le cas du présent tableau, les fines particules (ou pores) sont remplies d’air. La lumière diffusée par les pores est identique à la lumière blanche ambiante. Ce voile ou chanci est donc de couleur blanche (Figure 1, schéma du haut) . On retrouve ce même phénomène pour expliquer la couleur blanche des nuages. La lumiére blanche du soleil frappe les gouttelettes d'eau de l’atmosphère et est diffusée : la zone apparait blanche. (Les pores d’air du tableau dans le vernis et les gouttes d’eau dans l’atmosphère jouent le même rôle). Si les pores sont dans le vernis en surface, l’ajout d’une couche de vernis peut boucher ces pores et éliminer ce voile blanc . Dans notre cas cette action n’a éliminé le voile que pendant six mois, sans doute lié à l'évaporation des solvants au cours du temps. Si les pores sont dans la couche picturale en profondeur, il n’y a pas de solution actuellement pour éliminer ce voile. Une autre façon de masquer ce voile est de peindre au-dessus. C’est ce qui pourrait expliquer l’ajout d’un personnage en rouge, qui a été éliminé lors de la restauration récente. Différentes expérimentations sont en cours sur ce tableau pour tenter d’éliminer ce voile. Si la particule est un pigment coloré : la lumière diffusée est de la couleur du pigment (voir Figure 1, schéma du bas). Anaïs Genty-Vincent, Les chancis de vernis et de couche picturale des peintures de chevalet à l’huile, thèse de doctorat, 2017, Université de Cergy Pontoise. . |
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Du chanci au glacis Au XIVe siècle, les peintres flamands révolutionnent l’art de peindre. C’est la technique du glacis. C’est une innovation majeure. Ils utilisent comme élément de base une couche de vernis de lin transparente dans laquelle sont insérés des pigments colorés. Ils se retrouvent dans la configuration de la Figure2 b. La lumière diffusée est donc de la couleur du pigment. Le glacis est un chanci volontaire. |
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Le glacis multicouche
Pour obtenir des modulations de couleurs, le peintre va superposer localement sur la toile des
couches identiques de glacis.
L’augmentation de la diffusion de la lumière dans les différentes couches va donner un aspect visuel différent suivant le nombre de couches en allant vers le sombre. (voir figure ci-contre). Les peintres flamands vont peindre jusqu’à six couches. La couleur semble provenir du fond du tableau avec des nuances de couleur impossibles à obtenir avec une approche classique. Les peintres italiens de l’époque ignorent cette technique. Ils ajoutent des pigments noirs ou blancs pour modifier la couleur sans créer un effet visuel de profondeur. |
Un exemple
Le musée Granet d’Aix-en-Provence expose un tableau représentant la Vierge en gloire,
peint par Robert Campin, peintre flamand du XVe siècle.
La luminosité de ce tableau qui provient en particulier du ciel et des nuages est obtenu par un chanci
volontaire. Dans la zone marquée par une ligne rouge, le peintre a fait un glacis en noyant des pigments
blancs, sans doute de l’oxyde de plomb,dans du vernis transparent de surface. Il a rajouté
localement des couches successives pour obtenir
des dégradés de couleur blanche notamment grise, comme la base grise des nuages blancs.
Il a fait de même pour les dégradés du ciel bleu avec un autre pigment. |
Un chanci industriel Le monde industriel de la peinture exploite ces phénomènes. Ainsi les peintures blanches modernes contiennent des fines particules d’oxyde de Titane dans un liant adapté. Ces particules créent une forte diffusion de la lumière selon la théorie de Mie et produisent une couleur blanche éclatante. |
Summary : The recently restored painting presents locally a white alteration called blanching.
The origin of this blanching is a characteristic of light scattering in pores located in the varnish
layer, according to Mie's theory. This phenomenon is exploited by the fifteenth century Flemish painters
known under the name glacis. By superimposing layers of glacis, they obtain shades of color impossible
to obtain with a conventional approach of color.
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Mise à jour : le 24 mai 2024 webmaster : Gérard Jacques Coussot |