vous êtes sur le site : www.cairannevieuxvillage.eu


Retour Archives


La chronique de mars 2017

1942 : recherche d’un « haut-lieu » à Cairanne


Le Contexte

1942, la France est coupée en deux, une zone occupée et une zone libre. Le pouvoir politique de l’époque, sous l’autorité du maréchal Pétain, met en place de grandes manifestations patriotiques à partir de symboles historiques. Ainsi est restauré le culte des « hauts-lieux ».

Qu’est-ce qu’un « haut-lieu » ?

D’après Marseille-Matin point1: « Un haut-lieu est un endroit noble par excellence qui a vu naître un personnage illustre, qui l’a vu vivre, travailler ou mourir, qui a connu l’ardeur des batailles et qui a été souvent fécondé de sang…».

Manifestation de l’Unité française, le 30 août 1942 point2

De la terre sera recueillie d’un haut-lieu déterminé pour chaque commune de France et envoyée sur le plateau de Gergovie. Elle sera mélangée avec toutes celles des communes et déposée dans la crypte du monument du plateau de Gergovie, haut-lieu essentiel de la France. Le maréchal Pétain scellera cette crypte le 30 août 1942.
Le plateau de Gergovie est situé au sud de Clermont-Ferrand. C'est le lieu de la bataille qui a opposé Vercingétorix et différentes tribus gauloises aux légions romaines de Jules César en 52 avant JC. Jules César ne put prendre le plateau où étaient retranchés les Gaulois et se replia. Ce n’était qu’un repli stratégique puisque Vercingétorix sera défait à Alesia cinq mois plus tard.
Un monument est construit en 1900. En 1942, la crypte est modifiée pour recevoir la terre des communes.
Fin 1942, les Allemands envahissent la zone libre. Gergovie devient un centre de résistants et une stèle à leur mémoire sera inaugurée en 1951 par le général de Lattre de Tassigny.
À la Libération, une des sept étoiles (du maréchal Pétain), sculptées dans le marbre de la crypte, est martelée et la crypte condamnée.
Aujourd’hui Gergovie reste un point d’attraction touristique et un « lieu de mémoire ».

Les « hauts-lieux » de Vaucluse point3

« Un haut-lieu en Avignon domine tous les autres. C’est le palais des Papes où pendant près d’un siècle sept souverains pontifes ont régné sur le monde chrétien. C’est là que sera recueillie par les légionnaires de la section d’Avignon la poignée de terre…
Pour Orange ce sera la voûte de l’Arc de Triomphe,… à Sérignan, ce sera l’Harmas de Jean Fabre…, à Valréas, la terre sera prélevée sur la place Pie, à l’emplacement de l’ancien cimetière…, au Thor la cérémonie se déroulera sur les remparts… »

Comme on le voit, les autorités locales ont du mal à identifier un « haut-lieu » quelque peu guerrier.
Et pour Cairanne ?

Le « haut-lieu » de Cairanne

Laissons parler la presse, voici l’extrait du Petit Marseillais du 26 août 1942 point4: « Notre Légion point5a eu une charmante pensée en faisant prélever la terre de notre commune qui doit être envoyée à Gergovie, au domaine Gallifet, aujourd’hui propriété du Président de notre délégation spéciale, notre confrère et collaborateur André Mévil, jadis terre domaniale de la famille qui eût l’honneur de donner naissance au héros de la fameuse charge de Sedan. On se souvient que ce fut le général de Gallifet, alors colonel, qui, après que le général Margueritte fut mortellement frappé, prit le commandement de la charge pour sauver l’honneur avec la brigade des chasseurs d’Afrique et, qu’hélas ! la bataille était perdue. On sait que cette charge qui fut mortelle, arracha au roi de Prusse ce cri d’admiration : Oh ! les braves gens !
Où pourrait donc trouver dans notre commune une terre plus digne d’être envoyée à Gergovie que celle recueillie dans l’ancien domaine des ancêtres du héros de Sedan. »

Une première lecture étonne d’un tel choix et d’une telle rédaction.
Premièrement, le grand-père du général de Gallifet, Louis François, a émigré à la Révolution et son domaine a été saisi et vendu en 1796 point6. Il n’a sans doute jamais mis les pieds à Cairanne. Ensuite l’allusion à Sedan qui est, pour les Français, doublement symbole de défaite et d’humiliation. En 1870, Napoléon III est fait prisonnier à Sedan après sa défaite contre la Prusse. En 1940, la percée de Sedan entraine l’invasion surprise de la France par les blindés allemands à travers la forêt des Ardennes, zone jugée pourtant infranchissable par l’état-major français. Et puis ce général de Gallifet n’est pas le meilleur exemple.
Personnage ambigu, soldat valeureux, il est surtout connu pour avoir maté dans le sang le soulèvement de la Commune de Paris (1871). Les caricatures de l’époque sont sans appel. Une seconde lecture de l’article du Petit Marseillais met en avant la bravoure du général de Galliffet, admirée par le roi de Prusse, qui peut être un message pour les troupes allemandes d’occupation, en ces temps troublés ! Comme à Alésia, comme à Sedan, les Français ont bien combattu et peuvent capituler sans honte. De plus Vercingétorix, comme Pétain pour certains, est le héros douloureux qui se sacrifie pour la patrie.
Le seul point positif du général de Gallifet que peut retenir l’Histoire : ministre de la guerre, il demanda la grâce du capitaine Dreyfus point7, au mépris du conseil de guerre et de ses pairs qui le condamnaient à nouveau en 1899.
De la terre de Cairanne, quelque peu rougie, repose aujourd’hui dans l’austère monument de lave noir du plateau de Gergovie !

Gérard Coussot

Summary:During WWII, France is under a special political regime, led by maréchal Pétain. This regime organizes patriotic meetings based upon historical symbols. As an example, earth sample from each town is collected in a famous local spot (Haut-lieu) and gathered in an area were Gaulois defeated Jules Cesar (Gergovie). For Cairanne, the selected spot is the Gallifet’s castle earth because Géneral Gallifet was known for his bravery on battle field but also for having ordered to kill Parisian rioters in 1871 (La Commune). A poor choice!
version imprimable


point1 ADV, 2DOC2, Marseille-Matin, 21 août 1942.

point2 ADV, Idem.

Source : ADV
Affiche de l’annonce de la manifestation du 30 août 1942. Tous les symboles y sont rassemblés.

point3 ADV, 2DOC2, Marseille matin, 24 août 1942.

point4 ADV, 2DOC2.

point5 La Légion Française des Combattants est une association fondée par le maréchal Pétain et qui est supposée rassembler tous les anciens combattants.

Source : privée
Le caricaturiste Moloch fait allusion aux surnoms du général de Gallifet, le « Marquis aux bottes rouges » et « le Massacreur de la Commune »


point6 ADV, 6Q15 et chronique page 129.

point7 L’histoire du capitaine Dreyfus, de confession juive, restera comme une tache dans l’histoire de la IIIe République. Condamné pour espionnage sur de faux documents, envoyé en Guyane pendant quatre ans, rejugé à la suite de l’article d’Émile Zola « J’accuse », et condamné à nouveau puis gracié en 1899.

Source : privée
Le général de Gallifet est représenté, entouré de cadavres. La caricature de Steinlen fait référence à la « semaine sanglante » de la Commune de Paris (1871)



Mise à jour : le 9 mai 2024
webmaster : Gérard Jacques Coussot

Retour haut de page