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La chronique du mois d'octobre 2014 : 1937, vacances à Cairanne !





Récit d'enfance
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Depuis notre prime enfance nous nous rendions à la maison des grands-parents Affre, chez le pépé Paul et la mémé Joséphine. Paul était âgé de 60 ans en 1932 lorsqu'il prit sa retraite de l'administration des P.T.T. et s'était retiré à Cairanne avec Joséphine.
Comme je l'ai déjà écrit, nos congés d'été se partageaient entre la plage de Sète et la campagne cairannaise. Chaque année donc, nous retrouvions heureux le décor familier de nos vacances.
Nous nous y rendions par le rail de Sète à Orange. Durant le voyage on traversait Montpellier, Lunel, Nîmes puis le pont de Beaucaire qui franchissait le Rhône pour aller à Tarascon où je cherchais toujours à voir si Tartarin n'était pas sur le quai avec armes et bagages pour prendre le train avec nous… Ensuite venait Avignon, entourée de ses remparts et dominée par le rocher des Doms que couronne la cathédrale. A côté, on apercevait les hautes murailles crénelées et les énormes tours du colossal Palais des Papes.
Enfin nous arrivions à Orange, terminus de notre voyage ferroviaire. Nous descendions du train et juste en face de la gare nous prenions l'un des cars Lieutaud qui avait une correspondance avec Cairanne. Nous roulions sur la route de Vaison par Camaret-sur-Aygues, puis Travaillan où se trouvait un camp d'aviation et, au premier croisement qui suivait, nous tournions à gauche pour découvrir Cairanne 3km plus loin.
Le village nous offrait cette silhouette particulière si chère à nos cœurs d'enfant qui, dès les premiers regards, nous exaltait et nous rendait impatients de mettre pied à terre malgré le rude chemin pédestre qu'il nous restait à faire.
Avant d'arriver aux habitations du bas du village, nous passions devant une grange qui se trouvait sur la gauche, la ferme des "rouquins", de nos amis Lucette et Serge. Enfin, nous débarquions sur la place du Pontet où il y avait la maison et la boulangerie de la veuve Gintrand. Elle y logeait avec ses enfants : Joseph qui l'aidait à faire le pain et ses cinq sœurs : Marie-Thérèse, la blonde Mado, Marie-Madeleine, Malou et Marie-Louise. Et plus au fond, sur une place ombragée de platanes, le café du cocasse Ludovic Manifacier.
C'est alors que commençait l'ascension de la route pentue qui menait chez les grands-parents et que nous entreprenions, chargés de bagages, pedibus cum jambis. Au bas de la côte était érigé un monument aux morts avec son poilu de pierre, dressé à la gloire de nos vaillants Cairannais. Ce mémorial séparait la route en deux voies. Nous prenions celle de droite en passant devant la boucherie de Martial, délaissant celle de gauche où se trouvait la boutique de la "Petite Jeannette". C'était par une sorte d'habitude car toutes les deux rampes nous amenaient au même endroit, c'est-à-dire au pied de la colline, d'où nous poursuivions notre grimpette en suivant le penchant que l'on "costegeait" jusqu'à mi-chemin du sommet. Puis on prenait sur la droite un petit chemin déclive coupé par un ponceau recouvert de terre herbeuse et un raidillon, appelé "calade", qui descendait du vieux Cairanne. Nous franchissions l'ensemble de ce replat avant de nous engager dans l'allée de terre-plein qui précédait la maison grand-parentale bâtie tout au fond…..
Nous longions à gauche le verger-potager de la mémé en côtoyant le petit muret surmonté d'un grillage tenu par des traversines. Sur notre droite, du côté de l'oncle Albert, le frère de Paul, il y avait un terrain incultivé où vivotaient de vieux amandiers qui suaient la gomme.
C'est alors que nous entendions : "Mais qui vois-je venir ici ?" C'était le pépé Paul qui s'exclamait en nous apercevant dans le chemin traînant nos valises, suivis de Maman qui portait souvent le plus lourd. "Mais oui ! Je ne rêve pas !... Ô pauvre France ! Ce sont Jacky et Janot ! Ce sont les petits ! Comme vous voilà encore grandis !" C'était sa façon à lui d'exprimer sa bienvenue avec les mêmes mots, les mêmes phrases banales où il cachait si bien son émoi de nous retrouver. Il se tenait près du seuil, assis sur le banc de bois lamellé peint en blanc où il lisait "Le Provençal" sous le couvert de la treille. Il nous regardait par-dessus ses bésicles qui chevauchaient son nez bourbonien, en plissant le regard sous l'effet de la réverbération, mais aussi parce qu'il était gêné par le mince filet bleuté de sa cigarette, qui lui picotait les yeux et s'élevait au-dessus de lui en tourbillonnant. Il avait le haut du visage ombré par un chapeau de paille sous lequel luisaient ses prunelles noisette. "Bonjour, Odette. Tu as fait bon voyage ? disait-il en se levant avec lenteur de sa place préférée, là où il paressait si souvent et où il sirotait son pastis. Maman embrassait son père qui nous faisait aussi la bise à chacun. Sa moustache chatouillait et sentait le tabac, mais cela ne me dérangeait pas.
Bientôt se manifestait tata Mathé qui œuvrait dans la cuisine. Elle venait de soulever le châssis de la moustiquaire à guillotine et maintenant elle s'appuyait au bord de la fenêtre en nous souriant et ses yeux pétillaient de joie derrière ses lunettes étoilées dans les taches de soleil. "Bonjour les enfants, bonjour Odette" disait-elle de sa voix de gorge chargée de l'accent de Paris qui dénotait en Provence. "Rentrez donc vite à l'intérieur, il y fait frais; à cette heure les ombres sont courtes et le chemin a dû vous sembler long !....."
Jean Guestault

Summary. 1937: When he was a child the author used to spend every Summer vacation with his brother at their grandparents' house in Cairanne. He describes here their travel from Sète, where they lived, to Cairanne; that was quite an adventure in those days! travelling by train from Sète to Avignon, then by bus to Cairanne, followed by a long walk to their grandparents' house. He draws a picture of Cairanne before WWII, remembering the people and describing the village around 1937. This is quite an interesting testimony of the way it was.
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L'association remercie trés sincèrement Jean Guestault pour nous avoir autorisés à reproduire son texte

Pépé Paul

Source : Dessin de l'auteur

....il se tenait près du seuil, assis sur le banc de bois lamellé peint en blanc où il lisait "Le Provençal" sous le couvert de la treille....


La 'Petite Jeannette' autrefois

Source : Collection Robert Fornasier